quinta-feira, janeiro 20, 2005

067. "ANA" em "La Revue du Cinéma"

Ana - le désir ardent du cinéma

Le cinéma portugais que l'on découvre peu à peu, dans sa richesse et sa diversité, produit des oeuvres particulièrement exigeantes. Ana, d'Antonio Reis et Margarida Cordeiro, déjà auteurs de l'étonnant Trás-os_montes (1976), a nécessité six ans de travail de ses créateurs. En lisant cela, les cinéphiles, conditionnés par la vision de films où la sophistication tient lieu de talent, doivent s'imaginer aller à la rencontre d'une oeuvre bien polie, aux couleurs douces mais réalistes, à la fiction pleine et linéaire. La performance technique étant, aux yeux de la majorité, la marque de l'achèvement formel; la question de l'écriture filmique ne se pose jamais, en fait, en ses vrais termes. D'où la réticence de nombreux spectateurs devant des filmes "écrits", ceux d'Angelopoulos, de Bresson, de Tarkovski par exemple. N'entend-on pas souvent dire: «pourquoi ce cinéaste fait-il des plans si longs alors qu'il peut raconter la même chose grâce à montage plus serré?» Cette question, absurde en musique ou en peinture - imagine-t-on un homme cultivé demander, aujourd'hui, qu'un personnage de Hans Bellmer ou de Francis Bacon soit réaliste? -, est, encore, hélas, monnaie courante au cinéma.
Ana, titre en forme de palindrome, dans ses suites de pulsations rudes, âpres, où les éléments mnémoniques se marient au rêve, les paysages bien découpés se superposent à une suite de faciès typés, où le son, enfin, n'est jamais naturaliste - l'enfant pleure en silence mais le feu émet des bruits secs et envahissants -, Ana est un film où signifié et signifiant se confondent.
La démarche d'Antonio Reis et Margarida Cordeiro ne vise toutefois pas à l'abstraction. On peut la lire comme une chronique familiale évoquant, de manière naïve et essentielle, des principes cardinaux comme l'origine de la vie ou de la civilisation, la convivialité et la mort. Ana, mot condensé et réversible, est à la fois le prénom de la petite fille et celui de la grand-mère.
Les auteurs avouent ne pas être cinéphiles et, de fait, on ne trouve pas, dans leur pellicule, de références à des écoles ou à des auteurs précis. On n'y décèle pas, comme un regard sommaire peut nous y inciter, cet aspect systématique de mise à plat formelle propre aux "nouveaux ascètes": Manoel de Oliveira, Hans Jurgen Syberberg, Chantal Ackerman (pour certain de leurs films). Il s'agit, en fait, d'un langage composite où la fiction est garantie par une caution documentaire, où l'échange verbal fonctionnel est remplacé par une symphonie de bruits et parle un surgissement discontinu de bribes de textes poétiques. La démarche globale du film relève d'ailleurs, dès le stade de la conception, du poème ou du tableau, bref d'une forme d'art qui se rie des corsets de la logique, de la narration plate et de tout modèle scénarique. Écoutons Margarida Cordeiro en parler: «Nous appelions noyaux des zones denses et des pensées du film et nous savions que des zones inconnues naîtraient d'elles-mêmes, en relation avec des noyaux primordiaux. C'était cette zone de variation qui, des fois, en surgissant nous étonnait nous-mêmes».
Les auteurs travaillent sur quelques données de base: un groupe humain (la famille et ses "environs") et ses étroites relations avec les coutumes et les us d'une civilisation rurale que le père, ethnologue, relie aux rites de l'ancienne Mésopotamie, berceau des cultures. Le film est très dominé mais d'une façon pragmatique, à la manière d'une sculpture que le plasticien parachève en luttant concrètement avec la matière. Contrairement à un Manoel de Oliveira, Antonio Reis et Margarida Cordeiro laissent les divers éléments de leur création respirer et produire parfois des excroissances spontanées. On songe, en voyant l'épisode avec les bateleurs, où leur pratique se reflète sur le visage des spectateurs, au Chapiteau (Thampu, 1978), du cinéaste indien, originaire du Kerala, G. Aravindan: même façon de sérier l'aléatoire et de le tenir en même temps inféodé au projet initial.
Les cadrages sont mobiles, les lumières varient, les destins s'emboîtent. La vieille Ana a une hémorragie, elle va mourir, la cellule familiale se reconstitue une dernière fois autour d'elle.
Film étrange, envoûtant, vraiment isolé dans la production actuelle, Ana, sans désir conscient de référence, évoque, par moments, l'univers d'un Tchekov ou d'un Bob Wilson. Une oeuvre rare du cinématographe.

Raphaël Bassan

La Revue du Cinéma, de Julho de 1983 in Moutinho, Anabela; Lobo, Maria da Graça - "António Reis e Margarida Cordeiro - a poesia da terra", pág. 229, Cineclube de Faro, 1997

sexta-feira, janeiro 14, 2005

066. "ANA" em "Cinéma"

Ana
de Antonio Reis et
Margarida Cordeiro

Le dernier film d'Antonio Reis et Margarida Cordeiro, Ana, a d'abord le mérite d'être déconcertant. Il s'installe délibérément, on a presque envie de dire innocemment, en dehors des formes codifiées du récit filmique; ce film n'est ni une chronique, ni une étude sociologique, ni même un souvenir.
Le film fait revivre, vivre une région, un paysage. Dire que la photographie est admirable serait bien plat. Une campagne est comprise, dans ses rythmes, ses couleurs, sa vie intérieure. L'utilisation de la lumière est si parfaite qu'elle paraît simple.
Dans ce nord du Portugal (région de Miranda do Douro), on nous conte l'histoire d'une femme, d'une grand-mère, Ana, et des deux générations qui lui coexistent. Mais déjà les mots sont trompeurs; ils ne s'agit ni d'un récit linéaire, ni de l'éclatement parcellaire du souvenir, de la mémoire. Le film s'installe donc à un double carrefour: celui de l'histoire et de la remémoration (les auteurs disent «les émotions de l'enfance qui naissent à nouveau, sous d'autres formes, d'autres visages qui sont devenus autres»), celui de générations différentes qui sont ici des mondes divers, une grand-mère «archaïsante» et son fils universitaire. Dans une scène, pendant que le fils improvise une conférence sur la navigation comparée de son pays et de la Mésopotamie, on voit Ana dans le village faire ses emplettes. Le «lieu» du film serait-il cette Mésopotamie, cet «entre deux fleuves» dont le fils rêve les liens avec son pays?
Le film se ressent de cette riche indétermination. On a l'impression (confirmée par une interview des auteurs) qu'autour de scènes fortes, très chargées émotivement (scènes-souvenirs, scènes-rêves), s'organise le reste; ces liens entre les scènes ne sont certes pas d'explication, la motivation en est aussi perceptible que d'abord indéfinissable. Cela permet au film d'être aussi descriptif, aussi sociologique, aussi ce que l'on veut, mais de ne se réduire à aucune de ces catégories. Des dimensions sont ouvertes qui sont exploitées sans devenir exclusives.
L'indéniable charme d'Ana, et son importance, tiennent donc à cette façon d'être autre, d'organiser de façon originale, neuve, le récit. A sa beauté aussi: l'esthétique n'est pas gratuite, elle est élément moteur du fil, nécessaire. Le film raconte donc ce qui se déperd, réunit donc ce qui éclate (la famille, le mode de vie...). La mort de la grand-mère est admirable, serait-ce la mort d'un monde? Le film (comme objet) répond peut-être non, et la petite fille s'appelle aussi Ana.
Malgré tout, je ressens devant ce film une sorte de réticence que je ne peux expliquer; serait-ce l'habitude du cartésianisme? Pourtant Ana est un film amoureux ou d'amoureux; rarement une caméra avait fait vivre si intensément un paysage. Un des films les plus intéressants (par cet aspect toujours double - les auteurs ne sont-ils d'ailleurs pas deux? -, incernable), peut-être l'un des plus novateurs vus depuis longtemps.

Anne Tarqui

Cinéma, Julho de 1983

Pedido de desculpas: Pela demora na actualização do blogue, mas a nossa vida do dia-a-dia não o tem permitido. Agradecimento: A todos os que pacientemente, apesar de tudo, têm visitado o blogue "António Reis". Muito obrigado e votos de um bom ano de 2005!