226. "TRÁS-OS-MONTES" na "Positif"
Trás Os Montes
Trás Os Montés ne se présente pas comme un documentaire, ni même comme un document sur la réalité sociale et culturelle de cette région de Trás os Montés, Nord-Est du Portugal. Pour cela il eût fallu que cette réalité fût connue d'avance, qu'elle existe a priori avant l'oeuvre d'Antonio Reis et Margarida Cordeiro vient d'avoir fait de la caméra un moyen d'investigation plutôt qu'un objet d'enregistrement.
Le premier plan du film découvre une chaîne de montagnes au cours d'un lent panoramique tandis que la bande sonore réinvente les bruits de la nature, un chant perdu dans la montagne, les mouvements des troupeaux. À la manière de ces cinéastes qui dévoilent toute la thématique de leur oeuvre dès les premières images, au moment où la disponibilité du spectateur est la plus éveillée - mais aussi la moins avertie - cette ouverture pose d'emblée le sujet du film. Les montagnes qui font écran, qui isolent leurs habitants aux confins d'un autre monde situent en même temps le lieu de la caméra: nous sommes à l'intérieur, et c'est de l'intérieur que le regard des cinéastes fouille la réalité et les mythes de cette région. De même que Barbara Kopple était avec les mineurs grévistes de Harlan County USA, de même Antonio Reis et Margarida Cordeiro sont du côté de ceux qu'ils filment: chaque personnage filmé ne l'a été qu'au bout d'une longue et patiente expérience, qui ne peut être que celle de l'amour. Dans Trás os Montés, on ne trouve pas de pittoresque mais des mythes: les auteurs ne font pas décrire, ils inventent, ils rêvent.
Si la musique donne une idée de l'espace comme le disait Baudelaire, il en va à plus forte raison de même pour le son. De ces premiers sons de la montagne jusqu'au hurlement stridente de la sirène dans les plans de la fin, il semble que ce soit le son qui donne au film sa dimension réaliste tandis que les images tendent constamment à poétiser le réel (lumière chaude du soleil couchant, cristaux de glace au bord des ruisseaux, apparitions des femmes dans les blocs de rochers noirs, volutes blanches de la fumée du train, etc.) ou à dissoudre l'espace dans la durée: long plan de route sur une carriole qui s'enfuit à l'horizon, nombreux panoramiques et en particulier celui de 360º sur les visages des habitants réunis dans la tour du monastère. À se perdre dans l'espace on se perd dans le temps, ou plutôt le temps perd sa durée, il devient extensible à l'infini: pendant que les enfants jouent et roulent sur l'herbe ils rencontrent des femmes d'un autre âge qui les invitent à rester avec elles. Lorsqu'ils retrouvent le village, plusieurs générations se sont écoulées, comme dans la légende contée par Hugo du beau Pécopin et de la belle Beaudour, où la partie de chasse dure cent ans.
Eloignée de tout repère social ou politique tangible, la région du Trás Os Montés n'a pour tout recours que de vivre sur le fond mythologique immuable de ses traditions et de son histoire. C'est le mérite de ce beau film que d'avoir révélé cette permanence de la légende au coeur de cette réalité paysanne: sous l'oeil magique de la caméra, c'est la réalité qui devient mythique, c'est le mythe qui devient sensible.
Philippe Le Guay
Revista Positif, n.º 208/209, secção de A a Z, p. 117-118, de Julho/Agosto de 1978.
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