domingo, setembro 09, 2018

214. "TRÁS-OS-MONTES" no "L'Humanité"

[Estreia em Paris, 22 de Março de 1978] 

Les Saisons et Les Jours
Tras-os-Montes de Antonio Reis et Margarida Cordeiro

Tras os Montes est un des plus beaux, des plus grands films qui aient produits alors que le Portugal commençait à respirer normalement, le régime fasciste mis à genoux. Tras os Montes, grâce à ces deux réalisateurs, Antonio Reis et Margarida Martins Cordeiro, c'est une sorte de livre d'heures, de chronique des saisons et des jours enregistrée dans la campagne portugaise, dans une région très reculée. Tras os Montes, c'est une sorte de film élégiaque, d'ode à la nature, aux gens, au temps et à la durée, à la palpitation, lente ou accélérée, de la vie.

Il s'agit de ne pas s'y tromper. Tras os Montes n'est en rien un document, un fil d'information sur cette région du Portugal qui, comme toute autre région géographique au monde, a connu et connait des mutations. C'est une oeuvre de pure et entière création.

La région considérée n'est pas le sujet mais le cadre arbitrairement choisi pour une oeuvre de pleine et entière imagination, restituant la perception enfantine, le souvenir qui en reste plus tard d'incursions en province, de retour aux sources familiales et vers la "grande maison" de vacances d'une famille de bourgeoise moyenne. Dans cette fameuse "grande maison", on retrouve aussi bien un vieux phonographe que la photographie du grand-père qui avait un temps émigré en Amérique du Sud. On retrouve les pièces et les greniers où l'on fait, les doigts vite salis, des découvertes émerveillées lorsqu'on este encore à l'approche de l'adolescence.

C'est par la beauté, la belle rusticité de sa matière que Tras os Montes compte le plus, par le rythme auquel défillent les lourds nuages, par la présence de ces splendides formes géographiques que dessinent les eaux prises par le gel, par la présence de la poussière que soulèvent, en belle saison chaude, les charrues mordant le sol, les charrues traînées par des ânes.

Miroir Moderne

En marge de cette élégie au sol, à la terre, à la neige, au verglas, aux cristaux finement découpés, au fil de l'eau du dégel, au vent et au soleil, il y a aussi l'élégie sentimentale, l'élégie aux traditions. L'intrusion des formes les plus anciennes de culture, la pénétration du film par d'autres temps, d'autres personnages que ceux du temps présent (volontairement peu et mal daté) du film peut souvent sembler "plaquée" et arbitraire, artificielle mais il est aussi des moments où une jeune femme en coiffure moyenâgeuse nous apparaît comme très justement inscrite dans une survie culturelle qui l'autorise à évoluer en toute tranquillité devant un miroir moderne, fin du XIXe siècle ou début du XXe. Habillés en costumes encore crédibles d'aujourd'hui, deux vieillards accusent deux adolescents d'emprunter, d'usurper l'identité de leurs ancêtres, morts depuis des décennies, des siècles même. C'est une politique systématique - qu'il faut accepter ou refuser au départ - pour Tras os Montes que de brouiller les cartes historiques, de mélanger les temps et les époques dans la fidélité incohérente de la mémoire.

Tras os Montes c'est un poème sur un monde, sur des sensibilités qui se souviennent, un poème d'hier et d'aujourd'hui, parce que si les moeurs évoluent vite, si les modes se bousculent, la terre subit une érosion beaucoup plus lente, surtout lorsque les stratifications sociales fixent, bloquent, figent les termes et les cadences d'évolution. Tras os Montes nous vient d'un pays qui fut longtemps bloqué, arrêté, privé de souffler. Le style contemplatif du film est certainement aussi témoignage d'une volonté de réflexion, d'une volonté reprendre respiration, de respirer à pleins poumons l'air du temps, l'air des souvenirs avant l'air de l'avenir.

Esthétiquement beau, matériellement et affectivement sensible, Tras os Montes est aussi, à sa manière, un film qui exprime, en creux, les modulations politiques au Portugal. Sous Salazar ou sous son sous-verge Caetano, ce film aurait été impossible. Il fallait quelque chose de différent (avec quel devenir?) pour accepter ce film long et lent où l'on gaspille de la pellicule et de la bande sonore à regarder et à entendre le très lent et très long départ d'un cavalier sur son mulet dont la silhouette se perd à peu vers l'horizon.

Il fallait quelque chose de différent l'après-salazariste, pour que ce film puisse être ambitieux et différent de la production fasciste et différent du mercantilisme. Il fallait cette "Révolution des oeillets" qui fut à sa façon "le temps des cerises" au Portugal.

Albert  Cervoni

Jornal L'Humanité, 22 de Março de 1978.

NOTA:  Este texto foi retirado da obra "António Reis e Margarida Cordeiro - a poesia da terra", de Anabela Moutinho e Maria da Graça Lobo. Não possuímos o artigo original. Se tiver uma cópia do jornal e quiser partilhá-la connosco... desde já agradecemos!