209. "TRÁS-OS-MONTES" nos "Cahiers du Cinéma" (corrigido)
Trás-os-montes
On se demande alors d’où leur vient, à ces paysans du Trás-os-montes, cette évidence du cinéma. Il faut revenir à la recherche en écartant toute idée technique, médicale, expérimentale, à contrario des recherches pures, Trás-os-montes est une recherche impure, traversée de scories, multiple, multipliée. Ce n’est pas non plus le simple effort du souvenir, exploration de la mémoire (1); recherche doit être pris au sens de: à la recherche, comme dans: je pars à sa recherche, parce qu’il y a mouvance des deux côtés, de celui qui cherche et de celui qu’on cherche. A la recherche de… c’est un peu à la rencontre de…
Le film m’apparaît comme cela: des recherches/rencontres avec les gens du Trás-os-montes, paysans de toujours, posés sur leur province aussi «doucement» et aussi «violemment» (2) que l’herbe sur les plateaux, que la neige sur l’herbe. L’herbe, les plateaux, la neige sont comme les paysans, personnes et personnages du film et comme eux ils sont de toujours dans le Trás-os-montes. Faire la première partie du film avec les regards de deux enfants, inscrire d’entrée l’idée de génération (régénération) c’est dire: il y a toujours eu dans le Trás-os-montes des enfants pour courir l’hiver casser la glace à la rivière parce qu’ils aiment ça et de cet amour-là surgit la force des enfants et de la province et de la force surgit toujours.
«Toujours», c’est une idée progressiste, toujours est infiniment moins figé que jamais. Un «Je t’aimerai toujours» est oh combien plus mobile qu’un «je ne te quitterai jamais», sans doute parce que toujours, ce n’est rien d’autre que tous les jours, peut-être parce que «je ne te quitterai jamais» est vide de contenu pour un homme du Trás-os-montes qui émigre vers les mines du nord, l’Allemagne ou la France.
Après qu’ils aient vu la rivière gelée, la «grande maison» vide, la mine désaffectée, en même temps que la force du torrent, le vieux gramophone prêt à resservir, la mine presque vivante sous la pluie, ce que les enfants découvrent c’est l’absence, que ce pays est également tissé de présences et d’absences. Il y a alors un travelling lateral insensé, visage après visage, les anciens en pelisse sombre de notables, les hommes en casques de mineurs, les frères en capes de bergers, présents et absents réunis comme siègeant «patiemment depuis le fond des âges» et, dit par un villageois, un texte de Kafka traduit en dialecte: «… ces lois que nous cherchons patiemment à deviner depuis le fond des âges».
La seconde partie du film hors du regard des enfants, disparus, comme happés par un débris de fiction où ils sont devenus leurs propres ancêtres, est tressée de rencontres: une très vieille qui chante «Galandun» (mélodie du moyen âge) à un enfant tombé d’un toit, Mariana, la tisseuse, le forgeron tous concentrés (sérieux) sur un geste, l’une chantant et se souvenant assez fort pour que cela entraîne une autre image, l’autre attentive à la santé d’une voisine et d’un bébé pour laquelle elle va chercher le docteur, le forgeron regrettant son travail de la forge aujourd’hui fermée.
C’est avec cette concentration, indispensable outil de la recherche, que je termine, la concentration absolument exempte de séduction de ceux qui n’ont pas besoin du regard de l’autre pour vivre et qui, lorsque ce regard les aborde, par timidité, respect, intelligence, continuent de vivre.
Caroline Champetier
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